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Rougeur et embarras
29 avril 2010

Copie blanche

Photo_216Je rends presque toujours copie blanche.
Je n'ai jamais su raconter d'histoires, seulement en griffonner pour d'autres, en passant, en diagonale, d'une main brouillonne.
La seule histoire que j'écris et réécris, je la porte en moi, mais sa signification m'est obscure. Je ne puis la raconter qu'en fermant les yeux. Si je m'y plonge au hasard, c'est toujours la dernière ligne que j'écris, sans rien y comprendre. Il me faut alors repartir, plonger à la pêche aux images, barboter entre châteaux et saisons… C'est une histoire longue de plusieurs kilomètres, encerclée par une chaîne de montagnes, sur les pentes desquelles des chercheurs d'or retournent patiemment les pierres, à longueur de journée. Toujours un sommet blanc surgit à la fin de chaque paragraphe. Je m'y élance et, en m'éveillant, je suis à moitié enseveli, suant et glacé, dans un lourd linceul de neige, que dégagent d'innombrables petites mains, celles de secouristes de montagne pas plus grands qu'une fourmi.
Pour sauter d'une idée à l'autre, il me faut un élan démesuré, et quand l'encre sèche, les congères sont si hautes qu'il me faut me hisser sur la pointe des pieds pour entrapercevoir autre chose que du ciel bleu.
S'engage alors un combat féroce ! Tracer une piste en refoulant la neige, en s'agrippant de prise en prise, un enjambement de crevasses béantes, un buté contre des surplombs verglacés, un dégringolé de caillasses noires aux gueules de cerbère, et, sur la dernière barre rocheuse annonçant la fin de la moraine, un enflement, inextinguible, celui du désir de se sauver, à la course, et sans prendre garde aux fissures de l'avalanche naissant sous les souliers.
Le réveil sonne la fin de la dégringolade et, quand mes yeux s'ouvrent, je me découvre agenouillé entre deux phrases, tout étourdi. Je me bâtis un chalet refuge à la hâte pour panser les plaies et les gerçures, au creux d'une histoire que personne d'autre ne peut écrire, personne et moi non plus.
Les doigts gelés, je rends copie blanche.
Je rends copie blanche parce que les histoires se paient trop cher.
Je plains ceux qui lisent clair en eux des histoires et n'ont pas de mains pour les écrire.

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